Lire un extrait de "Une nuit comme une autre".


UNE NUIT COMME UNE AUTRE[1]

Sombres temps 3



Circonstances et lieux

Différents lieux durant la guerre civile espagnole. Principalement la ville de Barcelone en mai 1937.

Personnages

Jo, un jeune Français de 18 ou 19 ans lors des événements relatés dans la pièce. Il a rejoint l’Espagne pour s’engager dans la Colonne Durruti, dont il ignore qu’elle vient d’être dissoute.

Marcello, un Italien plus âgé et plus expérimenté que Jo. Il ne se sépare jamais d’un foulard rouge et noir noué autour de son cou.


1.

Au départ, la scène est dans le noir. Apparaît Jo seul dans un cercle de lumière.
Le début du monologue est en adresse public, narratif.
Progressivement, le personnage se détache de la narration pour vivre la situation.

JO ­— Je n’avais pas vingt ans.
C’était une nuit comme une autre. Comme n’importe quelle autre nuit.
Avant je n’avais jamais tué personne. Même en pensée. Depuis… je n’ai tué personne d’autre.
Question de circonstance.
J’ai fait ce que je devais faire.
Des regrets ? Aucun.
Tout jeune, j’ai choisi de partir. Je ne partais pas combattre pour des idées. Quelles idées ?
Si, en fait j’avais une idée, une seule ! Fuir un futur proche de plus en plus inquiétant. Un futur, couleur de jour de gloire. Pour les jeunes gens de ma génération couleur de massacres.
Tout me semblait simple. Je ne voulais pas faire partie des victimes. Alors je suis parti. Pour l’Espagne. Là-bas, c’était la guerre civile. Une guerre pour construire un monde nouveau. Pas pour me faire massacrer.
C’est ce qui se racontait. Ce que je voulais croire.
Tout me paraissait lumineux.
Je n’ai eu à m’occuper de rien. Je suis parti brusquement. Tout était organisé. Tout s’est enchaîné.
Comme si on m’avait gardé une place au chaud.
Qu’on m’attendait depuis toujours.
Je serais peut-être un peu gêné d’avoir traîné jusqu’à ce mois de mars 1937.
J’imaginais mon arrivée.
Les cris qui l’accompagnaient : « Ah, c’est toi ! Tu en as mis du temps à arriver. Qu’est-ce que tu fichais ? Ne t’excuse pas. Il faut réfléchir avant de partir de chez soi quand on est si jeune ».
Vous parlez, dix-huit ans !


[1] D’après le titre d’un poème de Benjamin Péret, paru dans le recueil « De derrière les fagots ».